Mais tu ne peux pas faire attention?!

Combien de fois n’avons nous pas dit ou entendu cette phrase ? Avec ces sous entendus : comment peut on ne pas faire attention à cela ? Si je te le demande 10 fois et que tu ne fais toujours pas attention, c’est que tu te n’as rien à faire de ce que je te demande….. Si tu ne fais pas attention aux affaires, si tu les abîmes et ne les rend pas en bon état, si tu ne fais pas attention à ce que je ressens, à ne pas blesser, si tu ne fais pas attention à ce qui a de l’importance pour moi, alors cela veut dire que tu ne fais pas attention à moi… Et cela, c’est insupportable. Beaucoup de couples ou d’amitié se heurtent sur ce raccourci, or il ne correspond pas à la réalité de ce qu’il se passe.

 

Ce qu’il faut savoir est que l’endroit où nous portons notre attention est différente selon les structures types de personnalité et, le plus souvent, indépendante de notre volonté. L’attention, contrairement à ce que pourrait supposer son nom,  est un schéma automatique : en effet, notre attention est sélective et les lieux où elle se pose naturellement correspond à ce qui a du sens, de la signification pour nous, et cela ne dépend pas de notre volonté libre. Nous aimerions beaucoup, ou plus exactement notre ego aimerait beaucoup être, lui et ses exigences, le centre de l’attention de l’autre. Mais, à moins d’un très gros effort difficile à soutenir sur le long terme (cela aussi, notre ego aimerait bien que l’autre le fasse), notre attention se porte naturellement là où elle a l’habitude de le faire et où il est naturel qu’elle le fasse compte tenu de la vision du monde de la structure de personnalité à laquelle elle appartient.

 

Par exemple, certaines personnes portent naturellement leur attention sur l’objectif, les moyens pour le réaliser… elles sont dans le faire et la réalisation et déploient beaucoup d’énergie pour atteindre le but, elles foncent et sont très efficaces. Evidemment, le plus souvent, l’attention des « fonceurs » ne s’arrête pas sur les détails ni sur les désordres collatéraux (casse, dégradations..) que peut provoquer leur énergie, ce qui a le don d’agacer les « précis ». Les "fonceurs" réparent, en général, mais, comme « réparer » n’est pas une priorité, ils le font généralement trop tard, ou mal, par rapport à l’exigence des « précis ». Or, il est difficile de marier très grande énergie et précision. Ce que les « précis » demandent aux « fonceurs » est peut être possible une fois de temps en temps, grâce à un gros effort de la part des fonceurs, mais difficilement tenable sur le long terme. Ce que les « précis », en l’occurrence, demandent aux « fonceurs » c’est de faire un effort  de présence pour que leur attention ne soit plus automatique. C’est comme si on leur demandait, à eux, de faire les choses les yeux rivés sur l’objectif à atteindre le plus rapidement possible sans se soucier des dégâts collatéraux.  Ils répondraient que « ce n’est pas une façon de faire ». Dans les faits, ce n’est pas leur façon de faire. C’est vrai que constater le résultat des visions du monde différentes de la sienne provoque souvent des émotions (agacement, ressentiment, frustration..) désagréables. Mais le conflit vient, non pas de l’émotion seule, qui s’efface si on ne l’entretient pas, mais de la croyance, répétée en boucle que :

 1/ si l’autre ne porte pas son attention au même endroit que moi, alors il n’a rien à faire de moi et de ce que je lui demande

 2/ qu’ils sont les dindons de la farce car ils « payent les pots cassés » du manque d’attention de l’autre. 

 

Mais, « faire attention à l’autre », car c’est mon ami ou mon amour, est une action volontaire qui se heurte sans arrêt à l’automaticité de mon mode d’attention, qui, lui, dépend de la structure de ma personnalité, sur laquelle il n’est pas si simple d’agir.

 

Il me paraît donc urgent de ne pas conclure que si l’autre ne porte pas attention là où je lui demande, il ne fait pas (ou ne veut pas faire) attention à moi. Et lorsque nous sommes envahis par la pensée délétère « il pourrait bien faire un effort » demandons nous quel genre d’effort cela pourrait être pour nous s’il s’agissait d’adopter la vision du monde de l’autre et d’abandonner l’automaticité de notre propre attention…Cela nous aidera peut être à stopper le flot du discours intérieur qui se désole du manque d’attention de l’autre et l’interprète comme un manque d’attention à soi.

Or, c’est ce discours qui est le véritable responsable du conflit et du ressentiment que l’on garde.

 

En reprenant l’exemple des fonceurs et des précis, ces derniers sont ils vraiment les « dindons de la farce », obligés qu’ils sont de réparer ou de subir les conséquences de la brutalité (supposée) du comportement des « fonceurs » ? Qui les oblige si ce n’est les réactions automatiques de leur propre structure de personnalité ? En l’occurrence l’effort qu’il faudrait qu’ils déploient pour attendre que l’autre répare – probablement quand il ne pourra plus faire autrement – est proportionnel à celui qu’ils demandent aux « fonceurs ». Car il faudrait alors qu'ils déportent leur attention du détail cassé vers l'ensemble de la réalisation.

 

Alors que faire ? Eviter les « fonceurs » lorsque l’on est un « précis » ? C’est une solution, mais elle n’est pas toujours possible à mettre en œuvre. 

 

Je vous en propose 3 autres :

 

1/ Faire ce que l’on demande à l’autre - c'est à dire déporter son attention de l'endroit où elle se porte naturellement - et donc, en l’occurrence, ne pas réparer, ne pas prendre en charge les conséquences du comportement de l’autre, et attendre... et observer ce qu’il se passe. Très intéressant, à beaucoup de points de vue (ce qu’il se passe chez soi, chez l’autre..)

2/ Ressentir l’agacement (on ne peut pas faire autrement) et ne pas porter attention (encore elle!) au discours intérieur qui envenime la situation : je répare, c’est vrai, mais je n’écoute pas la voix de victime qui en fait tout un fromage et me fait croire que l’autre se  moque de moi

3/ Je raconte à l’autre ce qu’il se passe pour moi, et lui fait la même chose : ce n’est pas un échange de reproches et de jugements, c’est juste raconter une histoire. Cela permet de mettre de la conscience sur ses schémas automatiques, et c’est la seule façon d’en sortir. L’objectif n’est pas de se faire prendre mutuellement conscience du point auquel le comportement de l’autre est insupportable et de l’obligation de qu’il a de changer.  En racontant à l’autre comment cela se passe pour moi (ce qui a de l'importance pour moi, ce que ça m'apporte, ce que je ressens, ce que je me dis, ce que je fais en conséquence), je mets de la conscience sur mes schémas automatiques, je les voie et je peux alors prendre de la distance et rendre mon attention plus libre. Mais comprenons bien, il s’agit de faire cela pour soi (et les 2 personnes le font ensemble), il ne s’agit pas d’éclairer l’autre en croyant qu’ainsi il va gagner en conscience et liberté et qu’il va changer (pendant que nous nous resterions inchangé !).

 

Cet exemple est un parmi d’autres, qui se présentent à chaque fois que nous nous exaspérons que l’autre ne fasse pas ce qui nous semble tellement facile et naturel. Mais non, ce qui l’est pour nous ne l’est pas pour les autres (en tout cas pas pour tous). C’est parce que nous lisons le vécu de l’autre au travers de nos propres filtres que nous nous agaçons et nous faisons mal en nous faisant croire que l’autre se moque de nous. Nous adorerions que nos filtres soient les mêmes pour tout le monde (la vie serait plus facile..), nous adorerions que les autres se tordent pour nous satisfaire…Mais non, ce n’est pas ainsi que vont les choses. Plutôt que d’essayer à toute force de faire en sorte que l’autre porte son attention là où il n’est pas naturel qu'il la porte, en raison de la structure de sa personnalité (et après avoir bien expérimenté que ce n'est pas facile pour nous non plus) je vous propose de ne pas trop nous attarder sur les exigences de notre ego qui voudrait mettre tout le monde au pas...et de se raconter plutôt chacun sa vision du monde, c'est bien plus intéressant, et finalement , c’est ainsi que l'on se porte, vraiment et de façon volontaire, de l'attention mutuelle.

 

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Commentaires: 1
  • #1

    charles (jeudi, 05 septembre 2019 10:04)

    Encore une fois, je suis aligné sur Hélène. Pas de belle confrontation en vue. L'attention dont tu nous parles, c'est comme un projecteur, c'est focalisé. Notre attention est concentrée ou focalisée et le reste est dans l'ombre. On pourrait utiliser une ampoule qui éclaire partout. Mais c'est beaucoup moins puissant. Donc il faut choisir entre les deux..ou alterner selon les circonstances et les besoins. Comme Hélène je crois que notre attention, nos projecteurs ou notre vision du monde, c'est la même chose, font partie de notre structure. C'est un squelette psychologique qui nous maintient comme notre squelette maintient notre corps debout.